Il y aura des êtres vivants sans parents biologiques
Les bio-ingénieurs développeront bient?t des organismes artificiels qui permettront de nouvelles applications en médecine et dans l'industrie. Beat Christen discute de leurs avantages et de leurs risques.
Chaque être vivant sur terre a des parents, des grands-parents et des arrière-grands-parents et se trouve dans une lignée ininterrompue avec les tout premiers organismes qui ont vécu ici il y a des milliards d'années. Mais bient?t, nous conna?trons des êtres vivants qui n'auront pas cette ascendance directe. Les premiers de ces êtres vivants seront des bactéries. Les bio-ingénieurs développeront de telles bactéries sur ordinateur, spécialement adaptées aux applications médicales, industrielles ou agricoles. A l'aide d'appareils de synthèse de l'ADN, ils recréeront leur génome à partir de zéro et développeront ainsi des organismes artificiels.
Je ne parle pas d'organismes dans lesquels seuls quelques gènes sont modifiés, comme cela se fait depuis des décennies en biotechnologie et dans la culture de plantes utiles, et comme il est aujourd'hui très facile de le faire avec les ciseaux génétiques Crispr. Je parle plut?t d'organismes dont les bio-ingénieurs vont effectivement développer le génome de A à Z et le synthétiser en laboratoire.
De tels êtres vivants artificiels sans mère ni père peuvent sembler relever de la science-fiction, mais ils seront bient?t une réalité, j'en suis convaincu. Car les conditions scientifiques et techniques pour produire de tels organismes sont aujourd'hui réunies.
Progrès technologique
Premièrement, nous pouvons nous appuyer sur les acquis de plusieurs décennies de recherche en biologie moléculaire et en biologie systémique. Nous comprenons aujourd'hui très précisément les plans de construction de la vie. Les bases de données numériques contiennent plus de 200 000 séquences génomiques d'un grand nombre d'êtres vivants, avec une quantité correspondante d'instructions de construction. En combinant ou en modifiant habilement des fonctions génétiques connues, les bio-ingénieurs sont en mesure de développer des micro-organismes dotés de nouvelles propriétés utiles.
Deuxièmement, synthétiser de A à Z des génomes entiers de micro-organismes était, il y a quelques années encore, extrêmement co?teux et équivalait à un immense tour de force, notamment financier. Mais gr?ce aux algorithmes informatiques, il est aujourd'hui possible de simplifier les génomes au point de pouvoir les produire plus facilement. De même, les méthodes de synthèse de l'ADN sont devenues beaucoup plus performantes gr?ce aux nouveaux développements technologiques. Il est désormais possible de produire rapidement et précisément des molécules d'ADN directement sur des puces de silicium.
Ces avancées permettront bient?t de concevoir des génomes sur la planche à dessin, de les introduire dans des enveloppes cellulaires et de développer ainsi des micro-organismes pour de nouvelles applications utiles.
Vaste champ d'application
Les opportunités offertes par de tels organismes sont nombreuses, en particulier dans le domaine de la médecine et de la production biotechnologique de substances actives. En voici quelques exemples. Tout d'abord, la production rapide de vaccins. Le développement et la production de vaccins sont une course contre la montre, non seulement dans le cas de la grippe saisonnière, mais aussi et surtout lors de l'apparition de nouvelles maladies, comme nous en connaissons actuellement une avec l'épidémie de coronavirus.
Des bactéries artificielles pourraient être utilisées comme nouveaux vaccins : Il est envisageable de produire des bactéries totalement inoffensives pour le corps humain, mais qui portent à leur surface des fragments d'agents pathogènes. De tels organismes peuvent enseigner au système immunitaire à reconna?tre efficacement les agents pathogènes et à les combattre. Cette approche est nettement moins chère et plus rapide que la production traditionnelle et co?teuse de vaccins protéinés.
"Nous sommes appelés à faire en sorte que la nouvelle technologie soit utilisée de manière à apporter le plus grand bénéfice possible à la société".Beat Christen
Deuxièmement, les bactéries artificielles peuvent servir d'organismes de production. Elles simplifieraient la production biotechnologique de substances actives et permettraient de produire des molécules plus complexes qu'actuellement. En outre, cela permettrait de convertir les processus de production chimique traditionnels, souvent basés sur le pétrole, en processus de production biotechnologique durables.
Troisièmement, les méthodes de diagnostic et de thérapie à base de cellules sont réalisables. Les cellules bactériennes qui détectent les cellules cancéreuses dans le corps humain et les combattent directement en produisant des substances actives en sont un exemple. Un autre exemple est celui des bactéries artificielles qui produisent des métabolites importants dans le corps de patients souffrant de maladies métaboliques.
Enfin, un autre champ d'application est l'agriculture. La sécurité alimentaire, la durabilité et l'adaptation au changement climatique sont des défis majeurs à l'échelle mondiale. Le développement de microbes artificiels du sol, qui protègent les semis ou produisent des engrais pour les cultures directement à partir de l'azote de l'air, est une approche prometteuse pour relever ces défis.
Discussion et régulation nécessaires
Outre de grandes opportunités, cette nouvelle technologie comporte également un risque d'abus. En tant que scientifiques, nous devons être conscients de toute la portée de cette technologie et l'utiliser de manière prévoyante et responsable. Il est également nécessaire que nous menions une discussion approfondie avec tous les groupes d'intérêt. Les cadres réglementaires nationaux et internationaux existants concernant la production et le commerce de l'ADN synthétique doivent être élargis. En fin de compte, notre objectif devrait être d'utiliser de tels organismes artificiels au profit de toute la société, tout en minimisant le risque d'abus.
Nous, les scientifiques, mais aussi les décideurs et les politiques, sommes appelés à faire en sorte que la nouvelle technologie soit utilisée et puisse être utilisée de manière à apporter le plus grand bénéfice possible à la société.