Simplifier, ne pas compliquer
Johannes Bohacek explique pourquoi il est trompeur d'affirmer que l'on peut remplacer complètement la recherche animale par des méthodes alternatives. Et pourquoi il faudrait réduire les obstacles administratifs élevés dans la recherche animale au lieu de les augmenter encore.
Les détracteurs de l'expérimentation animale affirment que l'on peut étudier toutes les questions de recherche biomédicale - même celles concernant le fonctionnement du cerveau ou du système immunitaire - avec des méthodes alternatives sur ordinateur ou dans une bo?te de culture cellulaire. C'est également la position des initiateurs de l'actuelle initiative pour l'interdiction de l'expérimentation animale. Pourtant, cette affirmation est fausse. Notre corps est trop complexe.
En tant que neuroscientifique, j'aimerais illustrer cette complexité par quelques chiffres : Le cerveau humain est composé de plus de 80 milliards de cellules cérébrales. Cela représente dix fois plus de cellules que le nombre de personnes vivant dans le monde. A cela s'ajoute, dans le cerveau, autant d'autres cellules non neuronales. Toutes ces cellules communiquent en permanence entre elles via 100 billions de jonctions synaptiques. Cela représente autant de synapses que d'étoiles dans mille galaxies. Chacune de ces cellules est à son tour contr?lée par plus de 20 000 gènes qui produisent un nombre encore bien plus important de protéines. Ces protéines régulent les fonctions cellulaires qui permettent au cerveau de fonctionner dans son ensemble et qui, gr?ce à une interaction ininterrompue avec le corps, contr?lent toute notre vie.
Si l'on imagine cette densité incroyablement élevée d'informations et d'interactions, on comprend aussi pourquoi ce système ne peut pas être entièrement modélisé sur un ordinateur ni reproduit avec quelques cellules dans une bo?te de culture cellulaire.1. Ces méthodes sont justifiées, mais elles ne remplacent pas la recherche animale.
Le fonctionnement du cerveau ainsi que ses dysfonctionnements, qui se manifestent par des maladies neurologiques et psychiques, ne peuvent être étudiés que dans un organisme vivant. Comme on ne peut pas faire ces expériences chez l'homme, il faut les faire chez d'autres mammifères. Les souris, par exemple, s'y prêtent particulièrement bien. Malgré les différences existantes, leur patrimoine génétique ressemble à celui de l'homme, elles possèdent les mêmes régions cérébrales et les mêmes types de cellules, et celles-ci sont reliées en réseau de la même manière que chez l'homme en raison de l'évolution.2.
De la curiosité à la percée médicale
Pour comprendre l'importance de la recherche animale pour le progrès biomédical, nous devons garder à l'esprit que la recherche animale n'entre pas en jeu seulement au moment où les médicaments sont testés pour leur sécurité et leur efficacité. Elle est pertinente bien plus t?t. A savoir dans la recherche fondamentale, qui a pour but de mieux comprendre les processus cellulaires et physiques afin de pouvoir développer de nouvelles méthodes de guérison.
Un exemple clair est une thérapie révolutionnaire pour la maladie de Parkinson, utilisée aujourd'hui avec un grand succès : la stimulation cérébrale profonde, qui consiste à implanter des électrodes de stimulation dans le cerveau avec une grande précision. Cette thérapie n'existerait pas aujourd'hui si le neurotransmetteur dopamine n'avait pas été découvert dans le cerveau dans les années 1960 à l'aide de rats et de chiens et si les circuits autour de la sécrétion de dopamine n'avaient pas été étudiés. Plus tard, des chercheuses fondamentales ont découvert, en échangeant avec des médecins humains, que les cellules produisant la dopamine mouraient chez les patients atteints de la maladie de Parkinson. L'interaction entre le laboratoire animalier et la clinique a finalement permis de développer et d'affiner la stimulation cérébrale profonde, qui intervient dans le circuit de la dopamine et supprime ainsi les sympt?mes de la maladie de Parkinson. Pour plus de 15'000 patients atteints de la maladie de Parkinson en Suisse - et des millions dans le monde entier - cette technologie a sauvé la vie.
Ce n'est qu'un des innombrables exemples qui montrent que ni la recherche fondamentale ni l'expérimentation animale ne sont une fin en soi. Au contraire, l'expérimentation animale est un moyen d'acquérir des connaissances, dans le but de faire progresser l'humanité et d'atténuer la souffrance humaine.
Les chercheurs sous pression dans un débat biaisé
En tant que chercheur, j'ai souvent le sentiment de devoir défendre mon travail et la recherche animale. Je regarde alors avec un peu d'envie les médecins, dont le travail pour le bien-être des humains est estimé à juste titre par la société. Nous, les chercheurs animaliers, ne sommes pas des monstres qui torturent les animaux. Notre motivation est d'accro?tre les connaissances et le bien-être de l'humanité gr?ce à nos recherches et d'apporter ainsi une petite contribution à un monde meilleur. Nous sommes des êtres humains qui ont de l'empathie pour les animaux de nos laboratoires. Le bien-être animal est même essentiel à notre recherche, car la douleur ou la souffrance des animaux fausserait les résultats de nos recherches.
Pour obtenir des licences d'expérimentation animale, les obstacles administratifs sont depuis longtemps extrêmement élevés en Suisse. Cela est justifié pour que les expériences sur les animaux répondent à des normes éthiques et scientifiques élevées ainsi qu'à un haut niveau de protection des animaux. Sous la pression constante des opposants à l'expérimentation animale, les critères d'autorisation pour l'expérimentation animale ont encore été renforcés ces dernières années, ce qui s'est accompagné d'une énorme charge administrative pour nous, les chercheurs. A mon avis, ces durcissements n'augmentent pas davantage le bien-être des animaux dans la même mesure, mais ils freinent et nuisent à la recherche. Les groupes de recherche ne re?oivent en effet pas de ressources supplémentaires pour faire face à l'escalade de la bureaucratie. L'argent des contribuables est ainsi utilisé moins efficacement pour la recherche, et la recherche de pointe risque d'être délocalisée vers des pays où les obstacles bureaucratiques sont moins importants.3. La Suisse perdrait ainsi un savoir-faire décisif.
"Je suis convaincu qu'il serait possible d'alléger considérablement la pratique d'autorisation des autorités sur le plan administratif et de renforcer en même temps le bien-être des animaux."Johannes Bohacek
Outre l'initiative très radicale sur l'interdiction de l'expérimentation animale, sur laquelle les Suisses vont bient?t voter, d'autres restrictions de l'expérimentation animale sont à l'ordre du jour. Ainsi, les milieux politiques discutent par exemple d'interdire totalement les expériences sur certaines espèces animales et avec un certain degré de gravité élevé. Ces discussions vont dans une direction qui nous inquiète, nous les chercheurs, car des thérapies décisives pour les maladies humaines les plus graves, par exemple le cancer, les lésions de la moelle épinière ou la maladie d'Alzheimer, ne pourront plus être développées. Si nous ne parlons que de restrictions et d'interdictions, le débat est biaisé et mène à mon avis à une impasse, au détriment de tous les Suisses.
Nous devrions discuter de la manière dont nous pouvons respecter des normes éthiques élevées tout en simplifiant la recherche au lieu de la rendre plus difficile. On pourrait par exemple autoriser pour plusieurs années des techniques établies qu'un groupe de chercheurs ma?trise excellemment. Aujourd'hui, il faut décrire minutieusement, des années à l'avance, pour chaque animal de laboratoire, le déroulement exact de l'expérience qui implique la technique en question.
Je suis convaincu qu'il serait possible d'alléger considérablement la pratique d'autorisation des autorités sur le plan administratif et de renforcer en même temps le bien-être des animaux. Un tel compromis n'est malheureusement pas du tout recherché actuellement, car le lobby des opposants à l'expérimentation animale insiste avec véhémence sur les durcissements, tandis que les chercheurs n'ont pas les ressources nécessaires pour organiser des campagnes en faveur d'un déroulement plus efficace des processus. Nous devrions mener cette discussion de manière ouverte et complète, pour le bien des animaux et des hommes.
Références
1 De Weerdt S : How to map the Brain, Nature 2019, doi : page externe10.1038/d41586-019-02208-0
2 Dans les profondeurs du cerveau (Globe Magazine 21.06.2019)
3 Vogel G : Animal rights conflict prompts leading researcher to leave Germany for China. Scienceinsider 2020, doi : page externe10.1126/science.abb0626